L’hyperconnexion et votre écriture

Cet article est connecté à mon témoignage sur les réseaux sociaux, qui sortira la semaine prochaine.

Chers amis des mots,

On se retrouve comme promis pour le premier article (je l’espère) d’une longue série. Au-delà de ma propre rétrospective, je me suis dit qu’une analyse de ce que j’ai observé serait intéressante.

2024 a été une année éprouvante pour beaucoup d’auteur·ice·s et j’ai l’intime conviction que les réseaux sociaux ont contribué à un mal-être général.

Petit avertissement : mes observations sont subjectives et forcément influencées par mes propres valeurs. Parfois, elles sont alimentées par des sources, et parfois non. Je ne détiens aucune vérité et vous non plus, mais j’aime partager mes réflexions en tant que professionnelle. Vos commentaires sont les bienvenus, dans le respect et le dialogue.

De l’innocence au contact

À une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas ou peu, j’ai un souvenir d’auteur·ice·s associé·e·s à des stars. En salons littéraires, on faisait la queue et on tentait de discuter pour obtenir un maximum de confidences, de coulisses, qui étaient alors inaccessibles en-dehors des interviews télévisées ou de la presse.

J’ai connu ce temps enfant et je ne me rappelle pas avoir admiré un·e écrivain·e. J’ai néanmoins admiré des acteur·ice·s, avec lesquel·le·s j’imaginais des histoires. Fantasmées ou insérées dans une fiction, ces personnes me faisaient rêver par leur capacité à raconter et à incarner quelqu’un d’autre.

À l’arrivée des réseaux sociaux, que ce soit pour les auteur·ice·s ou les acteur·ice·s, la barrière de la langue ou du contact s’est légèrement étiolée. Certaines coulisses, jusqu’alors disponibles seulement en salons ou dans les making off des DVDs, sont apparues publiquement.

Souvent représenté·e·s par des agents, certain·e·s acteur·ice·s ont choisi l’ombre et la discrétion. D’autres ont choisi la proximité avec le public. Il en a été de même avec les auteur·ice·s. C’était d’autant plus flagrant dans ce domaine en francophonie, car le concept d’agent littéraire est à ce jour encore beaucoup moins répandu que dans les pays anglo-saxons.

Ces professionnel·le·s se sont donc consciemment rapproché·e·s de leur public. Premièrement, à l’aide de cette facilité nouvelle de partager des actualités publiquement. Deuxièmement, en la combinant au confort de voir, presque en direct, ce que les gens pensent de leurs œuvres.

Du contact à la pression

J’en parle dans mon témoignage : forcément, avec l’évolution arrive le vice. Dans les portes ouvertes peuvent s’infiltrer la lumière OU la tempête. Alors, avec les réseaux et pour certain·e·s élu·e·s, sont arrivées la gloire OU la déchéance.

Pour s’éloigner un peu des « grand·e·s », j’aime prendre l’exemple de l’auteur·ice·s indépendant·e qui souhaite publier son premier livre. D’abord, cette personne écrit (souvent) seule. Dans l’intimité, elle délivre son message, puis avec de la persévérance, elle retravaille son tapuscrit pour le rendre publiable.

Influencée par cette image de reconnaissance que les « grand·e·s » propagent, elle décide d’investir les réseaux sociaux pour faire sa pub. En échangeant sur son projet avant sa sortie, elle espère construire autour d’elle une communauté. Ce mot fort regroupe plusieurs concepts, mais prenons les essentiels : groupe, échanges, appartenance.

Aujourd’hui, en prenant le risque de créer un groupe, pour favoriser les échanges et se sentir appartenir à cette communauté, elle va pourra entendre deux sons de cloche : un aigu et un grave.

De la pression au métier

Le son aigu ressemblera à des encouragements. Si ses extraits de texte ou son parcours sont appréciés, elle pourra recevoir des compliments, ce qui favorisera son évolution. Attention, ici, je ne parle pas d’évolution littéraire, mais bien d’évolution sociétale. Grâce à cette évolution, elle augmentera sa confiance en elle et en son projet. Ce dernier aura donc de fortes chances d’être publié, parce qu’elle y croira.

Le son grave, lui, va sonner profond dans sa poitrine. Si ses extraits ou son parcours ne sont pas appréciés, elle recevra des critiques, pour la plupart sévères et délétères. Oui, les gens sur les réseaux ne prennent pas de pincettes quand il s’agit de critiquer. À cause de ce mauvais accueil, la personne se sentira rejetée et découragée Son projet passera certainement à la poubelle ou sera mis de côté, parce qu’elle n’y croira plus.

Le problème de la pression des réseaux sociaux dans ce cas-ci, c’est que notre estime de soi est totalement influencée par le regard/le jugement/l’appréciation subjective des autres. Ces autres ont une importance capitale dans notre processus littéraire et créatif.

Là où je vois une différence ÉNORME avec l’époque sans réseaux, c’est qu’on affrontait uniquement l’avis d’un·e éditeur·ice à une étape finale de rédaction. On pouvait, bien sûr, en affronter plusieurs, mais ce rêve inaccessible restait un rêve. Et les rêves, ça peut revenir ou murmurer sur plusieurs années.

Or, quand le rêve est détruit à la racine, à la fin d’un accomplissement, aux prémices de ce courage d’oser, il lui est difficile de produire des branches. Surbissant ces remarques insistantes et non-sollicitées (parfois harcelantes), la sève – cette force intrinsèque et créatrice – se détériore ou se tarit, avant même d’avoir pu nourrir des fruits.

Ce sont malheureusement les fruits dont les gens aiment se nourrir. Alors, le vécu reste amère.

De la création à la communication « parfaite »

Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas partager ses écrits avant publication ! Je dis simplement que les réseaux sociaux ne sont peut-être pas le meilleur endroit pour le faire.

Les lecteuri·ce·s ont faim. Et dans l’envie de se sustenter, iels confondent parfois travail achevé et première éclosion.

Les réseaux sociaux sont une sorte de panier posé à l’entrée de la maison : il y a des trombones, des clés, des boutons, de la poussière… Dans ce fouilli, les Humain·e·s consomment vite, sans se rassasier et, en scrollant, iels mélangent tout.

Une chose qui m’impressionne toujours et toujours plus, c’est également ce besoin de dire des choses méchantes, sans filtre. Ces dernières années, sous l’égide d’une liberté d’expression à sens unique, les gens assument en plus cette position de tyran.

Oui, le mot est dur, mais il est vrai. Quel intérêt y a-t-il de dire ouvertement que « cet extrait est mal écrit », quand on peut simplement passer son chemin ? Où sont les notions de consentement, d’opinion personnelle, et de respect dans une telle démarche ? J’y vois plutôt une envie de s’imposer, d’exposer une vérité personnelle confondue en vérité absolue, et un manque de considération de son prochain.

En plus de cette déconvenue, il faut souligner que l’auteur.ice qui partage sur les réseaux découvre un second métier, en plus de l’écriture. Un métier à part entière, pour lequel iel n’est pas formé.e et, par conséquent, qu’iel ne maîtrise pas. J’irai même plus loin que le manque de maîtrise, puisqu’écrire et vendre ou communiquer sur ce qu’on écrit, ce n’est pas du tout le même processus.

Pourquoi beaucoup d’auteur·ice·s font appel à des maisons d’édition ou à des agents littéraires ? Pour la même raison que les acteur·ice·s font appel aux leurs : déléguer le fait de vendre ou de communiquer sur son travail, afin de se concentrer sur ce métier-là, celui qu’iels savent faire.

Mais ce n’est pas toujours évident de déléguer, car dans nos sociétés francophones/européennes, il n’est pas d’usage de laisser quelqu’un d’autre que nous s’en occuper. Et puis, on peut avoir l’impression que cette délégation nous éloignera de notre lectorat. Aussi, cela demande souvent un budget conséquent, que les auteur·ice·s indépendant·e·s n’ont pas, et encore moins en début de carrière.

Je n’ai pas abordé le sentiment quasi inévitable de devoir se comparer aux autres, qui font, évidemment, toujours « mieux que nous ». Le syndrome de l’imposteur, que les auteuri·ce·s connaissent souvent bien, sait s’infiltrer dans ces moments de doute pour y planter des graines. Elles germent à une vitesse folle et, plus on va scroller, plus on pensera deux choses :

  1. Je dois travailler plus dur pour arriver à cette hauteur
  2. Je suis un·e incapable et je n’y arriverai jamais

Dans le premier cas, de la création de romans, on passe alors à la création de contenu, et c’est à ce moment charnière que tout peut basculer. Parce qu’on va chercher à faire plus et mieux. Parce qu’on va sans cesse s’adapter au codes qui changent continuellement. Et parce que l’ennemi du bien est souvent le « mieux », on passera toujours plus de temps à perfectionner notre communication.

Une boucle sans fin, pour parler ou vendre ce que l’on crée en oubliant, en fait, de créer et de faire ce que nous aimons essentiellement : écrire.

Du perfectionnisme au mal-être

Progressivement, ce besoin de se montrer, de faire communauté, devient prioritaire sur tout. Des questionnements comme « si j’arrête, on ne me verra plus et je tomberai dans l’oubli » arrivent. On devient dépendant d’un système qui, si on y réfléchit bien, ne nous apporte pas tout à fait ce que nous recherchions à la base.

Parce que le côté tendancieux des réseaux sociaux, s’ils sont consommés et nourris dans l’excès, c’est l’usage abusif qui en découle, sans que l’on s’en rende vraiment compte. Avant d’en prendre conscience, on répond à davantage de messages qu’on écrit de dialogues. On imagine davantage l’impact d’une publication sur notre potentiel public, que l’impact d’une ligne décrivant notre univers.

Ce mal-être qui arrive, c’est ça : un sentiment de déconnexion. On ne voulait pas tout le contraire, justement ? En gérant tout du début à la fin, on imaginait que notre public serait au rendez-vous et qu’il nous rendrait ce qu’on essaye d’offrir, contre vents et marrées : du lien.

Mais voilà, les gens consomment, mélangent tout, et dans certaines situations, ils préfèrent mettre la pression sur la prochaine sortie que découvrir le processus derrière une sortie.

Du mal-être à l’écriture

Fin 2024, j’ai vu énormément d’auteur·ice·s quitter les réseaux sociaux. Ou, du moins, s’en éloigner drastiquement. Il en ressort qu’en plus de perdre le lien avec leur santé mentale, iels ont perdu le lien avec leur lectorat (qui, d’ailleurs, voit parfois très peu leur contenu). Mais surtout, iels ont perdu le lien avec leur plume. Alors, pour elleux, c’était beaucoup, trop, tout le temps.

Passer du temps sur d’autres choses qu’écrire a, là aussi, deux propriétés. La positive est que cela nous permet d’imbriquer dans nos écrits des éléments de la vraie vie. La négative, est que lorsque ce temps est « perdu » à passer de publication en publication sans réel espoir de sortir du marasme, il n’est jamais récupéré.

Pourtant, je vous garantis que cette écriture, celle qui vous a mené·e à produire tous ces efforts, à chercher cette communauté, cette reconnaissance, et à envoyer vos messages au monde, elle est toujours là. Nous ne sommes pas tou·t·e·s écrivain·e·s, mais nous sommes tou·t·e·s auteur·ice·s. Il vous manque peut-être juste un espace loin du tumulte pour le faire.

Cet espace, je l’ai créé avec Littera’Louve, mon entreprise. Vous pouvez le retrouver en ateliers ou en individuel. Je vous accompagne dans ce processus pour renouer avec sa nature profonde et la raison intrinsèque qui vous a amené·e à écrire. C’est grâce à cela que vous pourrez relever la tête et avancer.

Parlez-moi de votre parcours en commentaires ou en rendez-vous, je vous dirai qui vous pouvez (re)devenir.

À bientôt entre nos lignes. ♥

3 commentaires sur « L’hyperconnexion et votre écriture »

  1. Merci pour ton article. Tu décris très justement cette progression (voir ce glissement) de la solitude créative (et hyper enrichissante) vers une ouverture plus large qui apporte à la fois son lot d’événements bénéfiques ou non, mais qui participe aussi de la dilution de notre activité principale. En tout cas, ton article a beaucoup résonné en moi.

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    1. Merci pour ta lecture ! Je suis très heureuse que l’article te parle. Le mot « dilution » est très bien choisi. Heureusement, on est pas seul.e.s dans le monde merveilleux de l’écriture, on s’en rend compte en relevant légèrement la tête. 😊

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